Un standard : On the Sunny Side of the Street
Cette fois, point d’artiste ou de lieu mythique du swing mais un morceau à l’honneur. Que dis-je un morceau, un standard !
Ah le mot fameux est lancé, celui du connaisseur. Mais qu’est-ce que c’est’y qu’un standard en jazz ? Un standard c’est avant tout un morceau culte dans l’univers du jazz. C’est comme un tube quoi, un thème musical repris et repris encore, (ré)arrangé et agrémenté d’improvisations. Tu verras, quand certaines notes de trompette viendront naturellement tinter à tes oreilles, quand une ligne de piano éveillera en toi un irrépressible « Ooooh il est trop bien ce morceau ! Tu le danses avec moi ? », eh ben un standard c’est ça !
Beaucoup de standards ne sont pas des compositions de jazzmen parmi les plus célèbres mais sont en réalité des chansons populaires héritées de l’histoire américaine – comme dans le cas du blues et des chants d’esclaves – mais aussi des comédies musicales de Broadway des années 30 (un peu dans le genre « Nous, on fait l’amour, on vit la vie, jour après jour, nuit après nuit… », si tu vois ?).
Un standard de la musique swing
Tu en as sûrement croisé quelques-uns déjà : Take the ‘A’ Train (Billy Stayhorn) ou encore It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing) (Duke Ellington)… Mais celui dont on va parler plus précisément, c’est un morceau mis à toutes les sauces par tous les jazzmen de France, de Navarre (on n’en connait pas mais on est preneur de nouveaux horizons) et aussi – et surtout – des Etats-Unis : On the Sunny of the Street !
Ce morceau est tiré d’un spectacle créé en 1930 à Broadway : l’International Revue (tout un programme…). Malgré près de cent représentations le spectacle est un… bide. Mais un morceau a attiré l’attention, celui composé par Jimmy McHugh et Dorothy Fields, On the Sunny of the Street. Enfin… il se murmure chez les spécialistes que ce serait en réalité Fats Waller qui serait à l’origine du morceau. Mais à court d’argent il en aurait vendu les droits au plus offrant…
Fats Waller, © Wikipédia
Jimmy Mc Hugh & Dorothy Fields
Jimmy Mc Hugh (James Francis McHugh de son vrai nom, 1896-1969) était un compositeur prolifique. Il a écrit des musiques pour des centaines de films. À partir de la fin des années 1920, il travaille avec la parolière Dorothy Fields avec laquelle il collabore pendant sept ans pour plusieurs spectacles de Broadway comme Blackbids en 1928. Ils atteignent le numéro un du hitparade (OK, ça n’existait pas encore mais c’est l’idée) en 1935 avec In the Mood for Love. McHugh écrit ensuite plusieurs morceaux pour Franck Sinatra comme I Couldn’t Sleep a Wink Last Night et This Is a Lovely Way to Spend an Evening au début des années 1940.
Dorothy Fields (1905-1974) est une figure exceptionnelle dans le monde très masculin de la composition musicale des années 1930-1940. Issue d’une famille connue dans l’univers du spectacle, elle devient parolière et la première femme à entrer dans le Songwriter Hall of Fame américain. Dorothy Fields a collaboré au film Swing Time (1936) avec Fred Astaire et Ginger Rogers (et sa séquence d’anthologie qui mélange swing et claquettes… !). Avec son frère Herbert elle a également participé à l’écriture de trois spectacles de Cole Porter dans les années 1940-1950 et à de nombreux autres spectacles et chansons populaires américaines de la période. On the Sunny Side of the Street et ses paroles optimistes restent un de ses plus grands succès.
Jimmy Mchugh & Dorothy Fields – © songwritershalloffame.org
Les paroles
Mais au fait, qu’est-ce qu’elle raconte cette fameuse chanson ? En voici les paroles en langue originale et traduites :
Grab your coat and get your hat.
Leave your worry on the doorstep.
Just direct your feet
To the sunny side of the street.
Can’t you hear a pitter-pat?
And that happy tune is your step.
Life can be so sweet
On the sunny side of the street.
I used to walk in the shade
With those blues on parade,
But now I’m not afraid.
This rover crossed over.
If I never have a cent,
I’ll be rich as Rockefeller.
Gonna set my feet
On the sunny side of the street.
Grab your coat and get your hat.
Leave your worry on the doorstep.
Just direct your feet
To the sunny side of the street.
Can’t you hear a pitter-pat?
And that happy tune is your step.
Life can be so sweet
On the sunny side of the street.
I used to walk in the shade
With those blues on parade,
But now I’m not afraid.
This rover crossed over.
If I never have a cent,
I’ll be rich as Rockefeller
With gold dust at my feet
On the sunny side of the street
I’m gonna make it, i’m gonna take it
I’m gonna make it, i’m gonna take it
I’m gonna make it, i’m gonna take it
On the sunny side of the street
Attrape ton manteau et prends ton chapeau
Laisse tes angoisses sur le pas de la porte.
Dirige tes pas
Vers le côté ensoleillé de la rue.
N’entends-tu pas trottiner ?
Et ce joyeux brouhaha est le bruit de tes pas.
La vie peut être si douce
Du côté ensoleillé de la rue.
J’avais pour habitude de marcher à l’ombre
Accompagné par mes coups de déprime,
A présent je n’ai pas peur.
Ce vagabondage est du passé.
Si je n’ai jamais un centime,
Je serai riche comme Rockefeller.
Je vais mettre mes pas
Du côté ensoleillé de la rue.
Attrape ton manteau et prends ton chapeau
Laisse tes angoisses sur le pas de la porte.
Dirige tes pas
Vers le côté ensoleillé de la rue.
N’entends-tu pas trottiner ?
Et ce joyeux brouhaha est le bruit de tes pas.
La vie peut être si douce
Sur le côté ensoleillé de la rue.
J’avais pour habitude de marcher à l’ombre
Accompagné par mes coups de déprime,
A présent je n’ai pas peur.
Ce vagabondage est du passé.
Si je n’ai jamais un centime,
Je serai riche comme Rockefeller
Avec de la poussière d’or à mes pieds
Sur le côté ensoleillé de la rue
Je vais le faire, je vais le prendre
Je vais le faire, je vais le prendre
Je vais le faire, je vais le prendre
Sur le côté ensoleillé de la rue
La vie marginale : un sujet récurrent
Les textes de jazz des années 1920-1940 évoquent souvent la vie marginale qui est souvent le lot des musiciens, en particulier noirs, à cette époque. Mais ils renversent l’échelle des valeurs en faisant du dénuement la vraie richesse et la source de la liberté et du bonheur face à l’aliénante course effrénée au profit (comme en témoigne ici la référence à Rockfeller).
D’autres textes parlent bien entendu d’amour mais aussi de sexe de manière plus ou moins métaphorique ainsi que de drogue de manière très crue et explicite. Jette un coup d’œil ou une oreille (ou les deux) aux paroles des morceaux que tu aimes si tu as un moment et tu verras…
Un morceau interprété par une multitude d'artistes
On te propose maintenant un petit exercice de musicalité. Ce qui fait un standard c’est sa réappropriation par tout un tas de musicien·nes différent·es. Regarde comment chaque artiste interprète On the Sunny Side (pour les intimes) et en propose sa version. Les variations peuvent porter sur le tempo, le choix des instruments, les arrangements… On aurait pu en proposer des centaines de versions (sans déconner !) mais on a dû faire un choix. Cette petite sélection nous a semblé pertinente pour insister sur certains points de musicalité (tempo, solos, échanges entre instruments) mais aussi et surtout pour le plaisir de les écouter !
Benny Goodman & Peggy Lee
Pour commencer, Benny Goodman en a proposé une version avec son big band et Peggy Lee au chant. On entend sa fameuse clarinette entonner le thème du morceau au début avec une rythmique soutenue de la batterie. Peggy Lee propose une ligne de chant suave et douce. Le morceau se clôt par un solo du trompettiste du groupe de Goodman et une dernière improvisation de sa part.
Billie Holiday
La version de Billie Holiday, enregistrée en 1944, fait la part belle à la ligne de chant et la splendide voix de Billie soutenue par la contrebasse qui maintient la ligne et la mélodie du morceau. De son côté, le piano qui multiplie les envolées solitaires (entends-tu leur complémentarité ?)
Franck Sinatra
Franck Sinatra pour une version crooner et big band à la Broadway. Ici toute l’orchestration est mise au service de « The Voice » comme il était surnommé.
Rex Stewart
Dans cette version musicale de 1949 on entend un subtil et joyeux dialogue entre Rex Stewart à la trompette et ses musiciens. Il entame le bal avant que le sax n’arrive suivie de près par la clarinette. Ils reprennent le thème en chœur avant que le piano ne se glisse tout doucement sur le devant de la scène et ainsi de suite. Chacun propose ses petites variations et improvisations autour du thème central, un vrai petit exercice de pédagogie musicale !
Louis Armstrong
Allez, encore une autre ! On the Sunny Side est probablement le premier morceau que Louis Armstrong ait enregistré en live dans sa carrière, en 1933 (mais ce n’est pas cette version). La version qu’il enregistre en 1956 est posée et langoureuse. La guitare vient proposer ses accords en soutien à la batterie tandis que les cuivres s’ébattent gaiement en répondant à la trompette de Louis.
Armstrong en a enregistré un nombre de versions impressionnant ! Cette version live, il n’est jamais aussi brillant qu’en concert, est presque sautillante avec la trompette brillante et la voix inimitable de « Satchmo » (le sunom de Louis) soutenues par les trombones.
Count Basie & Ella Fitzgerald
Il faut aussi absolument écouter l’interprétation commune qu’ont fait Count Basie et son big band et Ella Fitzgerald en 1963. Les saxophones (à gauche si vous l’écoutez au casque) répondent aux trompettes (à droite) en étant titillés par le piano tout au long du morceau tandis qu’Ella chante de sa voix cristalline. Un bijou !
Nat King Cole
Une autre version plus proche du charleston interprétée par Nat King Cole jouée à la guitare et au piano (lui aussi en a enregistré plusieurs versions). Nat King Cole interprète la principale ligne de chant avant d’être rejoint par ses musiciens.
Dizzy Gillespie
Dizzy Gillespie (trompette) et ses deux acolytes saxophonistes (Sonny Stitt et Sonny Rollins) ont enregistré cette version en 1957. Écoutez cette symbiose puis ce dialogue entre le trompettiste et les saxophonistes que le piano accompagne en arrière-plan épaulé par la contrebasse. La ligne de chant n’apparaît que très tardivement dans le morceau. C’est ça l’avantage d’un standard, on peut le mettre à toutes les sauces ! C’est à la fois tout smooth et très hot, non ?
Illinois Jacquet
Une petite dernière. Celle-là, si tu traines tes guêtres à CçS depuis un moment, tu l’as déjà croisée quelque part. Il s’agit de la version du saxophoniste ténor Illinois Jacquet sortie en 1974. Elle a la particularité d’être purement instrumentale. Introduite par le piano et la section rythmique (contrebasse-batterie) avant que le sax presque désinvolte du soliste ne vienne reprendre le thème au bout d’une bonne minute. Il propose ensuite une variation en dialogue avec le piano avant qu’un orgue très 70’s ne s’invite et fasse et ne fasse s’emballer l’ensemble qui donne irrésistiblement envie de danser.
Pour aller plus loin
Si tu veux en savoir plus sur ce morceau, tu peux écouter l’émission que Laurent Valero lui a consacré en juin 2019. On peut notamment écouter d’autres versions, dont certaines sont bien plus baroques que celles que nous vous proposons ici. À bon entendeur…
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